Premier Contact

Keep Talking and Nobody Explodes

Réalisateur : Denis Villeneuve

Avec : Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Whitaker

Genre : Science-fiction, Drame

Durée : 116 minutes

Sortie française : 7 décembre 2016

Synopsis

Lorsque de mystérieux vaisseaux venus du fond de l’espace surgissent un peu partout sur Terre, une équipe d’experts est rassemblée sous la direction de la linguiste Louise Banks afin de tenter de comprendre leurs intentions. 
Face à l’énigme que constituent leur présence et leurs messages mystérieux, les réactions dans le monde sont extrêmes et l’humanité se retrouve bientôt au bord d’une guerre absolue. Louise Banks et son équipe n’ont que très peu de temps pour trouver des réponses. Pour les obtenir, la jeune femme va prendre un risque qui pourrait non seulement lui coûter la vie, mais détruire le genre humain…

Critique

Louise Banks (Amy Adams), experte en linguistique et enseignante dans le domaine, est plutôt douée quand il s’agit de communication avec autrui. Louise Banks est aussi maman célibataire qui connaît un drame familial avec le décès par maladie rare de sa fille Hannah (palindrome qui a son importance par son aspect « reverse »). En période de deuil, elle continue à prodiguer ses connaissances à ses élèves, sans vraiment sembler prendre goût à la vie et accepter l’événement tragique. Un jour comme un autre dans cette vie pourrie, les petits gris décident de débarquer à douze endroits de la planète dans des grandes structures ovoïdes noires qui rappellent forcément le monolithe du 2001 de Kubrick. Cette fois-ci, on évite de leur bombarder la tronche par prévention et l’humanité (du moins les grandes puissances) reste dans l’attente et tente le fameux « premier contact ». Et Louise, en contact, elle s’y connaît, si vous avez suivi ! Quoi de plus normal, pour le colonel Weber (Forest Whitaker), que de venir proposer à notre linguiste de travailler à la compréhension de la langue extraterrestre (visuelle par projection de formes encrées) pour faciliter les relations entre nos deux peuples et les unir dans la fraternité qui caractérise si bien les américains. Pour l’accompagner, son opposé qui lui est dans les chiffres, suites et algorithmes, le physicien Ian Donnelly (Jeremy Renner), qui fait principalement une honnête figuration tout le long du film tant on ne nous montre quasiment jamais en quoi ses compétences servent à nouer le lien avec les aliens, si ce n’est dans le décodage d’éléments mathématiques dans leur langage. Oh, Ian est un personnage clé du scénario, n’en doutez pas, mais Premier Contact peine à légitimer son existence même dans la proposition initiale. Mais soit, ce n’est pas la première fois qu’un film ne s’approfondit pas sur l’un de ses personnages et c’est parfois une bonne idée pour l’ensemble. Jeremy Renner reste en tout cas en retrait, laissant la place à Amy Adams de livrer sa prestation de mère déboussolée. Même s’il faut bien avouer que, ceux qui volent un peu la vedette aux acteurs, ce sont ces figures céphalopodes imposantes et cthulhuesques que sont les extraterrestres.

Hypocrisy

Tout ce que je viens de dire, on le trouve plus ou moins dans la bande-annonce, assez prometteuse en propos. On sent qu’on veut nous emmener sur le terrain du langage et de « comment la création d’un dialogue et sa complexité avec un peuple extraterrestre ne sera que le reflet du manque de compréhension entre les humains ». Les  films de science-fiction incluant des êtres venus d’ailleurs peuvent avoir cette force de parler avant tout de nous. Un peu comme Usbek et Rica dans les Lettres persanes de Montesquieu parlaient de la France du XVIIIème, on en attend un regard extérieur qui mettrait en exergue les absurdités de notre société contemporaine. Une autre force possible du genre, c’est l’infini et l’inconnu, donner l’impression de l’immensité et d’une découverte de quelque chose qu’on ne saurait définir et qui touche à l’existentiel, comme l’a fait Kubrick avec 2001 et qui reste un sentiment difficile à transmettre à travers l’écran. Le problème de Premier Contact, c’est que jamais il ne dépasse les promesses ni les problématiques de son trailer.

"Et si je faisais Titanic avec des aliens ?"

ABBA Bravo…

Le langage et le passage de l’état de deuil à travers l’acceptation de la mort sont sans cesse mis en parallèle et en scène, à travers des flashbacks lumineux et colorés qui s’opposent au présent plus gris et terne. On est souvent à la limite de la création mentale de la situation par Louise, qui par la communication recherche sa fille ailleurs, ne pouvant se résoudre à la laisser partir, et l’ensemble du film peut se considérer comme la sortie de cet état d’isolement qui la caractérise à plusieurs reprises. Célibataire, elle vit seule, dans une maison vide qui semble à l’écart du monde, et peine à accepter le retour à des relations sociales sortant de la relation enseignant/élève. Quant à la question centrale du langage et de ses composantes et barrières, Premier Contact nous met sans cesse dans la figure ce choix d’opposer lien avec extraterrestres/liens entre humains. La plupart des scènes dans le monde réel sont bruyantes, sans temps mort, et Louise est d’ailleurs obligée de mettre son casque pour entendre ses camarades, sortant de l’isolement par rapport aux êtres pour entrer dans celui par rapport au monde. A contrario, outre les sons sourds des premières rencontres avec les heptapodes – les aliens sont jumelés et tous les mêmes, comme dans la plupart des films qui en mettent en scène – c’est dans ces contacts que l’on peut s’entendre et donc communiquer tout en autorisant une forme de plénitude et de conscience de soi, le départ de cet « œuf » (vous la sentez ma métaphore de communication = berceau ?) étant chaque fois plus difficile et le désir d’y retourner de plus en plus fort et nécessaire pour préserver l’humain. Il y a, toujours, échange entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, les passages en flashback et les rêves rappelant le spectateur à l’intime de Louise, le tête-à-tête avec ces êtres apparemment supérieurs et les tentatives de les comprendre n’étant qu’un reflet de la recherche et compréhension de soi-même lorsque l’on est perdu. Les enjeux géopolitiques apparaissent eux-aussi comme révélateurs de l’incapacité des hommes à aller dans le même sens alors qu’on possède les mêmes bases de langage, la vitesse à laquelle les chemins se séparent entre les nations est à l’opposé des progrès et du plaisir pris par Louise et Ian à découvrir autrui sans passer par le conflit, prenant le temps de l’apprivoisement.

Money, Money, Money

Mais Denis Villeneuve, réalisateur canadien projeté sur le devant de la scène après Incendies (2010) et coqueluche du cinéma américain depuis (Prisoners, Enemy, Sicario), est confronté au problème de faire un film grand public tout en abordant des sujets aussi complexes que nombreux. Au bout du compte, tout est traité de manière affreusement banale, et les deux heures que dure le film n’apportent rien de plus que les deux minutes de la bande-annonce. La mise en scène est terriblement appuyée pour nous faire saisir les enjeux susmentionnés, dans une explicitation qui contamine cette fameuse catégorie du « blockbuster intelligent » qui veut faire compliqué sans jamais oser perdre le spectateur et préfère tout lui livrer sur un plateau d’argent afin qu’il sorte de la salle flatté tout en ayant eu l’impression de réfléchir. Les références affichées parasitent sans cesse la réalisation tant Villeneuve semble n’avoir pas saisi ce qui faisait leur force. Les flashbacks ne peuvent que rappeler le cinéma de Terrence Malick depuis The Tree of Life, avec son montage par plans courts et ses mouvements de caméra circulaire. Mais là où ces passages avaient chez Malick une force narrative et donnaient au spectateur de la perception, on n’est ici que dans la copie des « petits passages de vie » qui ne font jamais accéder au domaine du sensoriel, à quelque chose de plus vaste et cohérent. La ressemblance de l’œuf au monolithe de Kubrick est là aussi une perte totale de ce qui faisait sa force, une impression d’inconnu et d’infini dans un élément moins imposant à l’écran mais bien plus puissant dans sa présentation et sa mise en scène. Quand Ian passe sa main gantée sur le « vaisseau » extraterrestre, quand Louise touche la vitre qui la sépare des aliens, on voudrait nous aussi accéder à ce sens qui nous est impossible à travers l’écran. Jamais, dans une œuvre qui devrait nous donner le frisson de l’inexplicable (intime ou extraterrestre), on ne se sent perdu et on ne nous laisse nous jeter dans une aventure existentialiste pour en sortir désorienté. Toujours la main nous est tenue et les évidences montrées du doigt.

Jusque dans son dernier acte, Premier Contact est un film plein de fils mais qui sont tous tissés par quelqu’un qui sait où il va, refuse de laisser entrer un peu de magie dans son travail et s’assure que le résultat est à la bonne taille pour chacun des spectateurs. Ses propos, bien que traités de manière peu subtile, sont au moins intéressants et certaines scènes – celles dans l’œuf pour la plupart – permettent d’entrevoir ce qu’aurait pu donner un film moins obsédé par son statut de produit. Lorsque ces hommes sont face à ce mur immaculé derrière lequel se meuvent avec lenteur mais élégance les heptapodes, il se passe quelque chose. Faut-il y voir une métaphore de l’écran blanc du cinéma derrière lequel le cinéaste développe son propre langage et tente de le transmettre à ses spectateurs ? C’est une possibilité qui n’est jamais explorée plus en profondeur mais qui permettrait d’ouvrir de nouvelles pistes, mais je surinterprète peut-être. On peut reprocher le manichéisme géopolitique qui place une fois de plus les américains du côté du désir de compréhension de l’étranger (permettez-moi un soupir blasé) tandis que ceux qui rompent cette relation sont les chinois et les russes, ces barbares qui n’ont jamais vraiment compris grand-chose au langage. Ce simplisme, on peut le tolérer dans des films qui ont pour principal but le divertissement immédiat qui passe par une simplification. Mais là où, au hasard, dans un Avengers ou un Mission Impossible, cette vision suprématiste peut (éventuellement) se regarder avec un sourire, il est dommage de la retrouver de manière aussi prononcée dans un film qui, justement, se veut plus nuancé et plus « profond ».

"Cette dernière séquence... Pourquoi ?"

Premier con

Attention, ce dernier paragraphe contient des spoilers.

Mais il y a ce dernier acte, cette absurdité d’une dizaine de minutes qui fait passer le film de passable à agaçant, classant Villeneuve aux côtés de cinéastes comme Christopher Nolan avec ce petit effet qu’on ne peut s’empêcher de glisser pour faire croire au mindfuck quand c’est juste une idiotie. Ce petit twist scénaristique filmé avec des plans courts pour bien faire comprendre qu’il se passe un truc et qu’on va tout comprendre. Ces dernières scènes balaient du revers de la main pas mal de propositions proposées au long des deux heures précédentes – notamment la complexité du langage et de son apprentissage qui, pour des besoins scénaristiques, réduit toute une fresque au mot « temps », autre thème qui se révèle central – pour choisir la voie de la facilité et terminer de manière fermée là où le genre nous invite à l’ouverture et à l’incompréhension partielle. Denis Villeneuve choisit de se concentrer sur un point que l’on a frôlé de manière maladroite durant l’ensemble du film, l’acceptation du temps présent et le fait de surmonter le deuil pour aller vers la vie, l’intime prenant le dessus sur le gigantesque. Pourquoi pas, mais la mise en scène est faite de telle sorte que cet enjeu spécifique, qui encore une fois n’a pas eu le traitement qu’il méritait auparavant, devient le seul « but » et semble effacer tout ce qui pouvait mener ailleurs en un claquement de doigt parce qu’il faut bien un twist. L’impression qui prédomine est celle d’un manque de courage, d’une accessibilité forcée et bien-pensante dont le seul but est de toucher le plus de monde sans avoir à faire un choix moral, préférant le compromis mou auquel on a trop souvent droit. Ces minutes, outre leur impact sur le reste du film, sont en plus bien trop longues, car s’il y a un twist, il faut bien que le public sorte en ayant bien compris ses tenants et aboutissants sans rester dans le noir quand le générique défile. Dix minutes d’explicitation bien claires tout en faisant mine de perdre le spectateur par le montage, et le sentiment d’être pris pour un con(sommateur). Pour un film qui traite de la complexité du langage, c’est un peu triste de considérer aussi petitement celui du cinéma. Vous voyez la scène de la toupie d’Inception ? On s’en approche, et des fins de petit malin comme ça, il y en a plus qu’assez.

Sans sa conclusion, Premier Contact serait un film de science-fiction maladroit, un peu sûr de lui, mais néanmoins agréable. Abusant des références sans jamais toucher du doigt leur génie, Villeneuve parvient à offrir quelques beaux moments à son actrice et à mettre en place des enjeux majeurs, bien qu’il les traite avec simplisme et ostentation. Les dernières scènes en font un film prétentieux, qui s’inscrit dans une veine du cinéma américain qui est celle du non-choix et d’une maîtrise dans des genres qui doivent sortir du contrôle pour être marquants. La décision de prendre Denis Villeneuve comme réalisateur pour la suite de Blade Runner est pour le moins inquiétante, tant Premier Contact donne sans cesse l’impression qu’on ne veut pas de nous dans le film.

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