Le cimetière de Prague

Une histoire qui ne parvient pas à dépasser son Histoire

Auteur : Umberto Eco

Éditeur : Le Livre de Poche

Genre : Roman historique

Nombre de pages : 576

Sortie : 2011

Synopsis

De Turin et Palerme à Paris, nous croisons des hystériques, des satanistes, des escrocs, un abbé qui meurt deux fois, des cadavres dans un égout, des jésuites complotant contre des francs-maçons, des confraternités diaboliques et des carbonari étranglant des prêtres. Nous assistons à la naissance de l’affaire Dreyfus et à la fabrication des Protocoles des Sages de Sion. Nous prenons part à des conspirations, aux massacres de la Commune et à des messes noires… Tout est vrai dans ce savoureux feuilleton, à l’exception du principal narrateur, Simon Simonini, dont les actes ne relèvent cependant en rien de la fiction. Trente ans après Le Nom de la rose, Umberto Eco nous offre le grand roman du XIXe siècle secret.

Critique

Mon contact avec Umberto Eco se réduit à peu de choses. J’ai, en premier lieu, vu et apprécié l’adaptation du Nom de la Rose (Annaud, 1986). Depuis, je me dis qu’il faudrait que je le lise, le roman étant souvent présenté comme incontournable. Mais, comme souvent, on repousse, repousse, jusqu’à le lire un peu par hasard. Ce hasard n’a pas encore croisé ma route. Deuxième contact, c’est celui, plus épisodique, d’extraits divers et variés croisés au cours de mes études (Le pendule de Foucault et Lector in Fabula, surtout), notamment ses écrits sur le statut de « lecteur-acteur ». Dernier contact, ma seule lecture complète, il y a assez peu de temps, de l’amusant Comment voyager avec un saumon ?, original sans être réellement marquant.

Ces premiers liens tissés, c’est finalement avec Le cimetière de Prague que je continue ma relation avec l’italien, sans en avoir eu aucun « eco » avant sa lecture. Je l’ai acheté je ne sais plus trop pour quelle raison, sans doute pour compléter une commande afin de bénéficier d’un livre gratuit. Toujours est-il que ce n’est que plusieurs mois (années ?) après son acquisition que je l’ai commencé. L’érudition du personnage transparaît tout au long du roman. Sous couvert d’une fiction historisée, Eco nous présente une véritable fresque couvrant avec précision la seconde moitié du XIXe siècle. Comme le précisent ses « notes érudites » de la fin de l’ouvrage, le récit est en effet profondément ancré dans la société occidentale de l’époque, à travers les événements ayant pu marquer la période : Second Empire, unification de l’Italie, Commune, Troisième République avec ses scandales, antisémitisme de fond… Quand on a fait un peu d’Histoire (licence pour ma part), force est de constater que l’auteur a effectué un véritable travail de reconstitution : personnages, presse, arguments et pensée de l’époque, tout y est, et montre qu’Histoire et histoire se confondent parfois : en montrant l’Histoire d’une certaine manière, le talent permet de raconter une histoire.

Le vrai cimetière de Prague.

Prague tique

Une histoire malheureusement un peu longuette. L’érudition est remarquable certes, mais parfois un peu trop lisible et visible, ce qui nuit à la qualité narrative de l’ensemble, donnant l’impression que l’histoire ne sert qu’à justifier l’utilisation de l’Histoire. Si certains passages valent le détour, on survole souvent, englués dans une narration qui, en dépit de l’évolution du paysage, se répète inlassablement : mêmes situations, mêmes arguments autour de l’antisémitisme, mêmes procédés d’écriture… Pourtant, couvrir avec précision une si longue période mérite bien la taille du livre. Encore eut-il fallu que ces pages soient bien utilisées et proposent une vraie évolution de la vision de l’auteur ou du personnage. Le conflit entre objectivité historique et subjectivité du personnage sur son époque n’est pas toujours résolu et on se trouve confronté à un récit qui essaie de mêler les deux sans y parvenir, du moins avec brio.

Pour sortir de cette subjectivité, l’idée de la triple narration est pourtant bonne, Eco multiplie les points de vue entre celui de Simonini, de Della Piccola et du narrateur. Quand on sait ses théories sur le lien unissant auteur et lecteur, les interventions du Narrateur et ses apostrophes au lecteur surprennent peu. De bonnes idées donc pour varier le ton et sortir de la linéarité du récit, mais qui ne font que moyennement mouche, n’apportant que peu au personnage, ce choix semble plus un gadget, un artifice qu’un outil servant à enrichir le tout.

Au bout du compte, on a donc un roman précis, un auteur droit dans ses bottes (dont je ne pourrais dire qu’il est en roue libre, n’ayant rien lu d’autre ou presque) qui a la volonté de bien faire. Approcher le XIXe siècle par cet angle est sans doute plus agréable que par la lecture d’ouvrages théoriques souvent imbuvables, et le personnage de Simonini présente sans doute quelques intérêts. Néanmoins, et malgré quelques passages plus plaisants, Eco n’arrive pas à sortir de la difficulté de transposer son histoire dans l’Histoire, gardant quelques lourdeurs qui caractérisent ces ouvrages théoriques, et ce en dépit d’artifices qui ne fonctionnent qu’à moitié.

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