Abzû
Vague alarme
Développeur : Giant Squid Studios
Éditeur : 505 Games
Genre : Aventure sous-marine
Plateforme : PC, PlayStation 4, Xbox One
Sortie : Août 2016
Description
Le génie responsable de la création de Journey® et Flower® présente ABZÛ, une aventure sous-marine époustouflante qui évoque le rêve de la plongée. Plongez dans un monde marin vivant rempli de mystères et débordant de couleurs. Effectuez des acrobaties sous-marines gracieuses dans la peau de la plongeuse à l’aide de contrôles fluides. Découvrez des centaines d’espèces uniques inspirées de véritables créatures et formez un lien puissant avec la vie marine qui vous entoure. Interagissez avec des bancs de milliers de poissons qui réagissent de manière procédurale à vos mouvements, entre eux, et aux prédateurs. Prélassez-vous devant des paysages épiques et explorez des écosystèmes aquatiques modélisés avec des détails sans précédent. Descendez au cœur de l’océan où reposent d’anciens secrets oubliés. Mais soyez prudent, car de nombreux dangers rôdent dans les profondeurs. « ABZÛ » vient des mythologies les plus anciennes ; AB signifie eau et ZÛ signifie savoir. ABZÛ est l’océan du savoir.
Critique
On met parfois du temps à lancer certains jeux, comme à voir certains films et de manière générale aborder certaines œuvres. Rarement, et plus encore depuis quelques années, on a l’occasion d’aborder une œuvre en étant vierge d’attentes. Informations sur le développement, la production, previews, trailers, streams, critiques sont autant d’éléments permettant de savoir où on met les pieds et évitent de vraiment tomber à côté de la plaque. Du coup, quand on est un peu hypé par une sortie et que le titre fait un gros « mouif » sur les médias que l’on consulte et avec lesquels on est généralement en accord, on remet en question notre enthousiasme et on finit par laisser tomber, préférant investir ailleurs.
Les premiers contacts avec Abzû m’ont immédiatement mis en alerte, mais en même temps en méfiance. L’origine des personnes derrière le projet attise tout de suite la curiosité. Matt Nava, n’est autre que l’un des artisans ayant œuvré sur Journey, titre m’ayant bouleversé au plus haut point. Suite à son départ de thatgamecompany, il crée le studio Giant Squid, accompagné bien sûr de quelques amis. A la musique, on retrouve Austin Wintory, compositeur bien connu du monde vidéoludique (Monaco, The Banner Saga, Assassin’s Creed Syndicate…) et déjà aux commandes de la bande originale du titre de Jenova Chen. J’ai par deux fois cité ce jeu sorti en 2012, qui déjà formait une série cohérente avec Flow et Flower, constituant une trilogie qui pouvait dérouter le public ayant une image un peu réductrice de ce que peut être un jeu vidéo. La filiation d’Abzû avec ces glorieux aînés n’a jamais fait le moindre doute, et ce dès les premiers visuels, même si l’on constatait déjà qu’on se trouverait dans un monde aquatique et non plus dans le désert de Journey. Évoquer le jeu de Giant Squid sans parler de ceux de thatgamecompany paraît impossible pour qui a joué aux premiers venus, et la comparaison paraît aller de soi. De cet état de fait découlent plusieurs choses : Journey avait posé un palier paraissant infranchissable pour qui voudrait s’aventurer sur ses terres, Abzû devrait donc peut-être s’en détacher pour trouver son identité propre. Mais dans un paradoxe dont il est difficile de sortir, le titre de Giant Squid a tout à gagner de cette filiation, s’en revendique (le directeur créatif est le même et ne va pas non plus se renier, hein) tout en s’assurant une visibilité que n’ont pas tous les studios pour leur premier titre. Drôles d’attentes pour le joueur donc, qui espère à la fois une expérience prolongeant celle de Journey (tout en étant à peu près certain qu’elle n’atteindra pas sa puissance émotionnelle, ne serait-ce que parce que l’effet de surprise est moins là) et quelque chose qui s’en éloigne, s’en détache et parvient à créer son individualité. Héritage, renouveau, prolongement, remise en cause, tout ça s’entremêle et finalement, comme souvent, les attentes parasitent la relation à l’oeuvre, là où des joueurs n’ayant jamais touché un jeu de thatgamecompany ont l’avantage d’arriver vierges de tout ce passif.
On se moque, in the water ?
On commence notre aventure avec ce plongeur ou cette plongeuse, rappelant forcément le mystérieux personnage de Journey, accompagnée des notes orchestrées par Austin Wintory, dont le travail est un sans-faute du début à la fin du jeu, accompagnant voire construisant le rythme avec précision. Comme souvent dans ses arrangements, l’émotion est omniprésente, pleine de nuances et sachant s’accorder à ce qui se déroule à l’écran. On se demande toujours à quel point le ressenti serait différent avec un autre compositeur, à quel point cette émotion est construite et sincère, autant de questions que l’on ne se pose heureusement pas pendant que l’on joue, mais uniquement lorsque la manette est posée. Restons un instant sur la musique, c’est elle qui a été le déclencheur de mon regain d’intérêt pour le titre après bien des lectures de « si vous avez fait Journey passez votre chemin » (pour simplifier). Je tiens pour cela à remercier Valentin Ducloux et Charles Bardin pour leur dernier épisode d’After Bit avant l’arrêt de l’émission sur Gamekult et disponible pour qui aurait un compte premium. Ils analysent très justement et bien mieux que je ne saurais le faire cette relation qui unit gameplay et musique/son et montrent l’importance du travail de Wintory dans la réussite d’Abzû.
Vous aurez compris que j’ai un peu tué le suspense dans la phrase précédente, j’ai été à ma grande surprise conquis par le titre de Giant Squid. Surpris parce que j’y allais à reculons, certain de n’y voir qu’une pâle copie surfant sur ses modèles sans les avoir compris ni rien leur apporter. Il y a bien sûr de ça, et on est toujours à se demander à quel point Abzû tient de la posture plus que de la sincérité, mais ce sont des questions qu’on se posait déjà avec Journey, pour lesquels les mots onirisme, expérience, poésie ont été utilisés sans que jamais on n’arrive à pleinement trouver la spontanéité de l’émotion que peut transmettre un ICO, par exemple. Dans Abzû aussi, on sent que tout est construit et porte le joueur à ressentir, lui amenant les sensations plus que lui permettant de les laisser émerger seules. Néanmoins, et c’est là ce qui compte, ces sentiments, cette chair de poule sont là. C’est peut-être presque tout, mais ça me suffit pour avoir envie de replonger encore et encore.
Calmar plat
Presque tout, parce que du point de vue du gameplay c’est assez simpliste. Vous nagez (en surface mais surtout sous l’eau), plongez, accélérez, pouvez vous agripper à diverses espèces animales, méditez ou enfin interagissez à quelques occasions avec des éléments du décor. Il y a bien quelques énigmes, mais qui jamais ne posent problème, le jeu vous indiquant même la marche à suivre (« tu vois cette chaîne, c’est elle qui va t’ouvrir la porte, et ça tombe bien c’est relié à ce levier que je te montre dès ton arrivée dans la pièce »). Rien de bien folichon, et pourtant cela suffit pour pleinement vivre l’expérience sous-marine proposée par Giant Squid. D’un point de vue narratif, le jeu a beaucoup de choses à dire, notamment dans ses parties les plus sombres, sur le rapport homme/machine/nature/civilisation, sans jamais être trop explicite, là encore un choix qu’on peut réduire à une posture ou percevoir comme une liberté laissée au joueur.
Celui-ci est guidé et se laisse porter par le rythme du jeu, qui suit une progression logique fait de découverte, de moments forts, de temps de repos, pour finir dans une apogée évidente, coulant de source et qui m’a transporté comme a pu le faire Journey, même si là encore on peut se demander à quel point les développeurs jouent avec nous tant ces diverses phases semblent fabriquées de toutes pièces précisément pour nous amener à ces sentiments. Vous lirez ci et là que le jeu est ridiculement court (une heure et demie, deux heures) pour son prix et ce qu’il a à offrir. D’une, si l’on sort satisfait de sa partie et qu’on veut y retourner, le prix n’a que peu d’importance, et je trouve toujours triste de calculer une espèce de rentabilité pour ce qui relève du loisir et du plaisir. De deux, j’ai mis au moins quatre ou cinq heures pour finir le jeu une première fois. La deuxième fois et à la suite de lectures de critiques (celle d’Akwartz notamment), il y a en effet un vrai souci dans la manière dont le jeu parle avec le joueur et le pousse à aller de l’avant, là où c’est quand on ne le fait pas que le plaisir est le plus grand (sauf quand on est plongé dans les courants rapides où l’idée de fuite en avant prend tout son sens). Si l’univers est fermé, les diverses zones sont suffisamment denses pour qu’on s’y perde, mais Abzû semble nous inciter à toujours avancer. Lorsque l’on entre dans l’un de ces nouveaux espaces, on nous montre immédiatement la sortie pour aller vers la suite, là où l’on aurait pu nous laisser plus libre de cette découverte et ainsi nous inciter à rester plus longtemps dans chaque lieu.Cependant, j’ai bien précisé que lors de ma première partie, je n’ai pas ressenti ce caractère pressant et j’ai pris mon temps à chaque fois pour fouiller les recoins, méditer, sauter hors de l’eau avec diverses espèces. Le joueur a donc cette liberté, même si en entrant il semble « poussé vers la sortie ». Chacun choisira donc son approche, explorant lors de sa première partie ou lors des suivantes, même si encore une fois on peut regretter qu’Abzû semble nous indiquer la voie la moins plaisante pour nous imposer son rythme.
Sue, marin
Prenez le temps, car vous n’êtes pas seul. Le titre de Giant Squid est à la fois plus solitaire que Journey (dont le multi reste une leçon dans la relation qu’il est capable d’instaurer avec autrui) et beaucoup plus fourni en personnages, ici représentés par la faune sous-marine (tortues, orques, raies, baleines voire espèce plus particulières) avec laquelle vous pourrez avoir des liens passifs ou plus actifs (non, pas ce genre, je vous vois venir), l’accompagnant dans sa nage dans des tableaux colorés qui restent imprimés dans la rétine pour longtemps et que l’on se met à rechercher, encore et encore. Il y a également dans Abzû des items à collectionner, débloquant ces fameux trophées et succès auxquels on ne peut plus échapper. Ils ont là aussi un rôle paradoxal. Semblant tout d’abord sortir le joueur de l’immersion (ce que font très bien les chargements un peu longuets et tout noirs), ils sont l’élément qui vont peut-être, s’il ne le fait pas de lui-même, l’inciter à cette exploration et à passer du temps dans les différents lieux qu’il n’a fait que traverser, lui offrant ainsi cette expérience plus plaisante que le speedrun qu’il semble offrir par sa narration visuelle.
Abzû est dans une position délicate, qui explique en grande partie pourquoi j’ai mis du temps à y jouer alors même que c’est exactement le genre de jeu qui est censé me parler. Successeur assumé des jeux de thatgamecompany, il peine à en saisir une forme de sincérité et est toujours à la limite de la posture. Pourtant, et malgré les défauts pointés dans la critique, l’émotion ressentie durant la partie est belle et bien là, et c’est finalement le principal, que mes premières parties m’aient donné envie d’y retourner et que ces sentiments restent inscrits en moi bien après avoir fini le jeu. Toutefois, difficile de le conseiller à ceux ayant adoré Journey, dont l’expérience demeure bien plus puissante. Difficile aussi de toucher ceux qui n’ont pas aimé les titres de thatgamecompany, tant on en est proche. Enfin, difficile de le recommander aux nouveaux venus, vierges de cette production, tant on aura envie de les orienter vers les aînés du jeu de Giant Squid. Dans le même temps, compliqué de ne pas vous inviter à l’aventure sous-marine tant je vous souhaite les mêmes émotions que celles que j’ai pu y ressentir, indépendamment de tout cet héritage. Et, vous l’aurez bien sûr constaté, impossible ou presque d’aborder Abzû sans le comparer systématiquement à ses grands frères.
Amoureux de la culture au sens large, je tente de pratiquer à la fois approfondissement et élargissement, sans que jamais ce ne soit sale. Né la même année que la chute de mur de Berlin (coïncidence ? pas sûr…), j’ai été bercé par Picsou Magazine, les Tortues Ninja, les Minikeums, Pokémon ou encore Final Fantasy VII. J’ai tendance à écrire et parler plus que nécessaire, je vais donc me contenter d’ajouter que je suis aussi professeur des écoles.
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