Mysterious Skin

De la chair meurtrie coule des larmes de sang

Réalisateur : Gregg Araki

Avec : Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet, Michelle Trachtenberg…

Genre : Drame

Durée : 105 minutes

Sortie française : 2004

Synopsis

A huit ans, Brian Lackey se réveille dans la cave de sa maison, le nez en sang, sans aucune idée de ce qui a pu lui arriver. Sa vie change complètement après cet incident : peur du noir, cauchemars, évanouissements…
Dix ans plus tard, il est certain d’avoir été enlevé par des extraterrestres et pense que seul Neil Mc Cormick pourrait avoir la clé de l’énigme. Ce dernier est un outsider à la beauté du diable, une petite frappe dont tout le monde tombe amoureux mais qui ne s’attache à personne.
Il regrette encore la relation qu’il avait établie avec son coach de baseball quand il avait huit ans. Brian tente de retrouver Neil pour dénouer le mystère qui les empêche de vivre.

Critique

Un film sur un sujet aussi délicat que la pédophilie a toutes les chances de se casser la gueule. En tombant dans le pathos, dans des leçons de morale très convenues en énonçant des évidences, en choisissant le choc par le cru… Le sujet, bien traité, peut aussi traverser tous ces écueils et se transformer en chef d’œuvre, par un approche originale, une forme qui toucherait à l’abstraction et parviendrait à s’extraire de son propos. Mysterious Skin se place entre les deux. Gregg Araki, qui s’occupe aussi du scénario, parvient à se faufiler avec adresse entre les obstacles, en voguant entre les formes.

Le scénario est finalement assez accessoire, il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, le spectateur se doutant des événements. La fin, à ce titre, se révèle décevante, une évidence inutile, didactique et trop explicative, pour un film qui naviguait entre réalisme et merveilleux. La grande force du film, c’est la manière dont Araki joue à l’équilibriste. Le sujet est dur, les scènes de sexe assez violentes même si jamais trop crues (elles interpellent sans être malsaines ni morbides), mais le tout est contrebalancé par des passages nettement plus oniriques, une atmosphère (mot fourre-tout) bien plus poétique, aérienne, qui permet de s’évader de cette rigidité et d’apporter une vision plus nuancée. Cette force est aussi un aveu de faiblesse du réalisateur qui n’ose pas aller plus loin dans l’abstraction et amène trop de scènes lassantes, malgré la courte durée du film.

Peau de faire contre peau de taire

Autre écueil, le sujet est vite brossé, et on en a très vite fait le tour. Que ce soit Neil ou Brian, impossible d’échapper à ce traumatisme. Neil, dans une position apparemment plus confortable d’acceptation, doit vivre avec cette expérience. Il semble le faire de bon gré, jusqu’à ce qu’il se rende lui-même compte qu’il en est prisonnier. Et même quand il essaie de s’évader loin de cette petite ville qui n’est pas sans rappeler celles de Lynch (les bas-fonds du périurbain américain) pour aller à New York, il reste dans cette spirale et finit par rentrer. Brian, lui, prend la voie du déni, se refusant au souvenir qui, seul, peut apporter une once de salut. La scène de l’ovni est particulièrement réussie de ce point de vue, ouvrant une voie qu’Araki ne traite qu’à moitié alors qu’elle avait d’intéressantes perspectives.

Retenons, outre les très belles scènes (les céréales multicolores, les moments semi-contemplatifs, dans l’entre-deux, qui s’arrêtent juste au bon moment), Joseph Gordon-Levitt, qui écrase le reste du casting par sa présence. Le personnage de Jeff Licon, dans la figure de l’éternel rejeté, est pourtant lui aussi intéressant, mais, avec Wendy, ne sert que de faire-valoir à la caractérisation de Neil. Gregg Araki fait de lui un James Dean contemporain, il vampirise la caméra au point qu’on en oublie le reste et que dès qu’on s’éloigne de lui, le film perd de sa force. Qu’il fasse le cochon pendu dans un square, coure à en perdre haleine ou s’avance vers une voiture, on a d’yeux que pour ce visage d’ange, parfait pour le rôle. Mysterious Skin prend alors la forme du portrait d’un gosse et d’un adolescent bien plus que d’un fait de société, et c’est là qu’il est le plus réussi.

Sur un sujet pour le moins délicat, Gregg Araki parvient à proposer une vision assez personnelle. Gordon-Levitt est au centre du dispositif et éclipse assez largement à la fois le reste du casting et le sujet, qui ne devient presque qu’un prétexte à filmer cet acteur au plus près, à mêler acteur et personnage dans un rôle qui aurait pu être celui d’une vie, le genre de rôle dont on ne peut plus se sortir. En choisissant une voie qui oscille entre le cru du sujet et la distance poétique, le réalisateur évite les excès de chacun de ces deux angles pour rester, toujours, comme un équilibriste sur le fil.

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