Midnight Special

Midnight Marauders

Réalisateur : Jeff Nichols

Avec : Michael Shannon, Kirsten Dunst, Joel Edgerton…

Genre : Drame familial ; Science-fiction qui brûle les yeux

Durée : 122 minutes

Sortie française : 16 mars 2016

Synopsis

Fuyant d’abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy, père de famille et son fils Alton, se retrouvent bientôt les proies d’une chasse à l’homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. En fin de compte, le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d’accomplir son destin. Un destin qui pourrait bien changer le monde pour toujours.

Critique

Jeff Nichols fait partie de ces quelques réalisateurs qui me titillent depuis plusieurs années. Take Shelter est sorti en 2011, et c’est lui qui m’a plongé dans ce désir sans cesse repoussé. Certains metteurs en scène procurent cet effet, l’impression de savoir ce qu’on va trouver chez eux, mais sans avoir peur que ce soit trop convenu ou de s’ennuyer par des attentes comblées. Jeff Nichols, je l’ai toujours vu comme un auteur indépendant avec des moyens pour mener sa vision à bien, je l’imagine avec une cohérence filmographique forte, des thèmes récurrents, au-delà de sa collaboration répétée avec, par exemple Michael ShannonMud, sorti en 2013, me semblait différent, mais sans l’avoir vu (tout cela ne reste donc que conjonctures), j’ai la forte intuition qu’on saurait qui est derrière.

Nous sommes en 2016 et voilà que sort Midnight Special. Ce sera donc ma porte d’entrée chez Jeff Nichols et son univers, l’occasion attendue et maintes fois repoussées, alors que ses précédentes œuvres prennent la poussière sur une étagère. Pas forcément la plus évidente, le film étant présenté comme appartenant au genre de la science-fiction, que j’affectionne mais qu’on dit éloigné des précédents travaux de Nichols. Encore une fois, hypothèse aveugle, le fantastique apocalyptique de Take Shelter ou la dimension de conte initiatique et nébuleux de Mud me paraissent aller dans l’esprit de confrontation entre l’intime, le réel, le fantasmé et l’imaginaire. Jeff Nichols me paraît aussi être du style à ne pas s’enfermer dans le genre mais plutôt à explorer ses limites et sa porosité avec d’autres propositions. Le genre ne sera pas le roi mais un outil pour raconter autre chose.

Minuit barbarie

Fin du suspense, le film correspond tout à fait à l’image que je pouvais m’en faire, mais encore une fois sans l’ombre d’une déception, tant c’est un cinéma capable de me parler. La science-fiction est bien là, sans jamais être bodybuildée, et sans jamais aller vers l’immensité spatiale. Elle existe, mais étroitement collée à notre réalité et à celle des personnages. Jeff Nichols montre là aussi que la science-fiction ne passera pas que par le jeune Alton ou par une civilisation extra-terrestre/intra-terrestre. La société est contemporaine, mais dans un léger décalage, quelque chose semble être passé par là (on ne saura jamais quoi et c’est tant mieux), déréglant certaines habitudes et normes sociales, sans désintégrer 90% de la population. Le regard qu’a le réalisateur sur nos habitudes et leur prolongement possible fait froid dans le dos, il en profite pour faire un sort à la religion tout en encensant la foi et l’espoir. Il bannit Dieu mais garde l’autre monde, néanmoins physiquement lié au nôtre. Il faut ici mettre en lumière la beauté de cet ailleurs, un avenir qui mêle futurisme et art contemporain minimaliste, avec ses structures paraissant métalliques mais cependant organiques et en association parfaite avec son environnement. Un peuple qui serait parvenu à allier modernité et respect du monde qui lui préexiste, mais qui a décidé de se rendre invisible aux yeux des humains et de notre réalité alternative, bien plus pessimiste.

Extra-Terrestre de les yeux

Le lien de lumière entre ces deux mondes, c’est Alton. L’enfant messianique sorti de la religion des hommes, qui lit les aventures de Superman dans la voiture. Cet humain qui est quand même un peu plus que ça, est un trait d’union. Il rassemble à la fois père et mère, Lucas (massif et touchant Joel Edgerton) et le couple, l’au-delà et le réel, le prêcheur et les prêchés, la NSA et le FBI… Il est en ce sens un catalyseur, toutes les attentions sont centrées sur lui. Sa disparition finale entraîne l’emprisonnement, l’aveuglement, l’oubli du beau et de l’ailleurs. Le lien unissant hommes et idée disparaît, sans que l’on sache s’il a réellement existé (le film peut aussi se voir comme deuil refoulé par les parents ou tout ne serait qu’onirisme éveillé permettant ce deuil, même si la présence de Joel semble aller à l’encontre de cette idée), et l’on retourne à un certain individualisme et égoïsme. Sauf pour ceux qui se rappellent de l’ailleurs, qui sont alors déconnectés de cette réalité si sombre. Ce monde réel, Alton représente l’étranger qui y apporte la lumière et un regard nouveau, à la manière de Kal El/Superman, mais surtout d’Usbek et Rica des Lettres persanes. Cet apport extérieur permet une critique de notre société, mais, là aussi comme le super-héros, Alton, bien que poussé par le besoin de quitter notre réalité, partage son savoir/pouvoir avec l’humain (et le spectateur), lors de ces visions magnifiques qui ne se dévoilent pour nous qu’à la toute fin, lors de plans beaux à pleurer. Comme Superman, la société individualiste et les entités qui la composent désirent s’emparer de ce pouvoir et l’utiliser à leurs fins, ce qu’Alton leur refuse finalement.

Dunst in the Wind

Midnight Special va vers la lumière, comme Alton lui-même. Partant dans des tons sombres (plans lynchiens de route qui défile, merveilleux), les couleurs accompagnent la narration et le parcours du garçon, allant vers du plus en plus clair, pour aboutir à une luminosité maximale lors du dévoilement de l’autre monde au spectateur. On retire les cartons des fenêtres, on vit et roule le jour, on enlève ses lunettes noires, on essaie même de percer Alton à jour dans une pièce au blanc immaculé lors d’une très belle scène d’interrogatoire le mettant face à un Adam Driver impeccable, tout en nuances entre doute et foi… Alton en est capable et retrouve la santé solaire qui lui était refusée par l’obscurantisme du réel, et Jeff Nichols (accompagné d’Adam Stone à la photographie) l’accompagne par ses choix de mise en scène. Kirsten Dust (Sarah, la mère) joue aussi dans ce sens. Sourcils froncés et visage tiré lors des premières scènes nous la dévoilant, au point de se demander si elle va sourire un jour, elle rayonne lorsqu’elle rend Alton à sa liberté dans une scène qui n’est pas sans rappeler le final marquant de Melancholia. Il y a cette forme d’apaisement résigné, l’acceptation du départ, une sérénité qui sied parfaitement à son visage et qu’elle incarne avec beauté. Ce n’est pas le monde réel qui disparaît comme dans le film de Lars von Trier, mais une destruction plus intime, et tout aussi renversante.

Mon premier contact avec Jeff Nichols est donc sans surprise, tant dans ce que je pressentais du réalisateur et de son univers que dans la manière dont le film utilise la science-fiction pour traiter surtout un drame familial : relation père-fils, famille, intrusion amicale de Lucas, à la fois témoin et regard extérieur semblant apporter une légitimité à la vision des parents, les sortant de l’isolement final. Les années 80 ne sont jamais bien loin, que ce soit Spielberg (on pense au retour d’E.T., autre figure messianique) ou la musique proposée par David Wingo, nappes synthétiques ambiantes et mystérieuses qui n’envahissent jamais trop nos oreilles, la bande-son sachant utiliser les silences aux bons moments. J’ai lu des critiques concernant le regard lumineux d’Alton, sans les comprendre, tant il symbolise à merveille la manière dont cette puissance contenue le consume de l’intérieur et désire sortir pour aller vers la réalité et lui apporter le savoir.

Peu de surprises, mais une satisfaction complète et une envie renouvelée de découvrir la filmographie du jeune réalisateur pour voir si l’intuition de cohérence globale se révèle également.

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