Freak Angels

Lucifer Over London

Scénariste : Warren Ellis

Illustrateur : Paul Duffield

Éditeur : Le Lombard

Genre : Post-apo ado ; SF pas trop scientifique ; Steampunk moyennement punk

Nombre de pages : 872

Sortie : 2010 – 2012

Synopsis

Dans le quartier de Whitechapel, ravagé comme le reste du monde par une catastrophe inconnue, douze jeunes gens forment une bande de justiciers veillant à la protection de leur communauté. Leur point commun ? Ils ont les yeux mauves et le teint pâle. Mais surtout, ils sont nés exactement au même moment, il y a 23 ans. Six ans après, jour pour jour, un cataclysme sans précédent ébranlait la planète.

Critique

Freak Angels… Derrière ce titre aux accents de faction Warhammer 40,000 se cache un récit post-apocalyptique dans le quartier de Whitechapel, bien connu pour les méfaits de Jack l’Éventreur. Les Freak Angels, c’est le nom que se sont donnés douze gamins nés le même jour, dotés de pouvoirs surnaturels, qui peuvent se « connecter » pour plus de force. Traqués comme « monstres » (les « freaks » du titre) par le gouvernement, ils décident de frapper un coup pour montrer qu’il ne faut vraiment pas les embêter, pour montrer de quoi ils sont capables. Sauf qu’ils sont jeunes, ne maîtrisent pas tout à fait leurs pouvoirs…

Et là, apocalypse over Londontout est détruit, plus d’électricité, quelques survivants, aucune communication envers le reste du monde. Tout est dévasté, Londres, après avoir vécu le Grand incendie de 1666, se retrouve noyé sous la Tamise. Les Freak Angels, eux, ont tous survécu et décident de faire du quartier de Whitechapel leur résidence. Emplis d’un sentiment de culpabilité de bon aloi (ce sont quand même les douze cavaliers de l’apocalypse), ils décident de faire au mieux pour s’occuper des survivants, en leur procurant l’aide que leur permettent leurs pouvoirs. Aide altruiste, mais surtout remords et désir d’effacer l’horreur qu’ils ont commise du mieux qu’ils le peuvent, pour trouver le repos. On suit donc leurs aventures au sein de Whitechapel, quartier attaqué par les voisins, où s’est créé un microcosme, où les habitants, ignorant l’origine de la catastrophe, vénèrent et se reposent sur les Freak Angels, qui eux grandissent et découvrent que leurs pouvoirs n’ont que peu de limites, même s’ils en ont peu conscience et ne leur font pas totalement confiance.

London moi ton cœur, baby…

Dans ce Whitechapel post-apocalyptique, il manque un des Freak Angels, Mark. Mark a été banni, peut-être le plus torturé par ses actes, tentant de les refouler en se proclamant supérieur à la race humaine que les Angels devraient asservir pour ne plus être chassés. L’espoir en l’être humain et sa tolérance a disparu. Douze Freaks qui sonnent comme douze apôtres, d’après l’Apocalypse dont Mark serait le Judas. Mais c’est un peu plus compliqué que ça, car tous ont une part de responsabilité. Là-dessus arrive Alice la bien-nommée, envoyée dans ce Pays des Merveilles par Mark comme drone pour prendre le pouls et surtout se débarrasser de quelques frères d’armes, ambition vaine comme le dévoile peu à peu le récit. Reprenant ses esprits, Alice devient membre honoraire des Angels, remplaçant Mark, prenant peut-être la place du treizième (Jésus), celui qu’il faudra sacrifier pour le salut des hommes.

Warren Ellis, auteur un peu inégal (du chef-d’œuvre Transmetropolitan au bien plus médiocre Iron Man: Extremis), signe ici un récit qui s’éloigne un peu des team de super-héros classiques qui se distinguent à la fois par leur jeunesse et par la justesse d’écriture de chacun d’entre eux. Un peu comme chez les Schtroumpfs, chacun a sa personnalité et son utilité bien définie dans le camp et chacun spécialise ses pouvoirs dans le domaine qu’il maîtrise. Kait est donc une inspectrice qui baigne dans le souvenir des nanars policiers de la TV des années 80, KK est une folle de l’air, Kirk le guetteur solitaire (même si la solitude est peut-être le point commun des douze), Karl l’amoureux des plantes et des fruits, Miki le médecin de service qui reste plus diplomate, Luke le marginal qui suit un peu les traces de Mark, Arkady l’ex-droguée qui est la plus curieuse et le point de rencontre de tous les autres, Sirkka et Jack le couple impossible, etc. Devant la profusion des personnages, on pourrait craindre l’éclatement mais Ellis parvient, en quelques répliques, à cerner le personnage et à l’inscrire au sein du groupe sans l’y perdre. L’autre force du récit, c’est son rythme. Très cinématographique (une adaptation en film ou série serait d’ailleurs tout à fait pertinente, tant pour l’univers que l’intrigue), le rythme est parfaitement maîtrisé. Scènes de silence complet sur plusieurs planches, autres passages plus verbeux, on ressent la solitude des personnages et le poids qui repose sur leurs épaules, tout en étant entraîné par les passages d’action bien plus rapides, faits de plus petites cases, sans temps mort, avec un humour qui fait parfois mouche, même si souvent redondant. Les rebondissements et cliffhangers sont présents sans être pesants, somme toute assez prévisibles mais suffisants pour donner envie de lire la suite.

Ellis, lui, sait

Ce qui pêche un peu, c’est le dessin de Paul Duffield, plus inégal, même s’il correspond à l’ambiance de post-adolescence d’après l’apocalypse. C’est ici qu’il faut revenir sur l’originalité du projet, qui explique peut-être que certains passages soient moins convaincants que d’autres d’un point de vue graphique. Freak Angels, à la base, est un webcomic créé en 2008 sous forme de site dédié et donc librement consultable. Si les lectures web existaient déjà à cette époque, j’ai tout de même le sentiment qu’une saga de cette ampleur, de tout de même 144 épisodes et plus de 800 pages, c’était quelque chose d’assez inédit, mais bon, je peux me tromper. Le rythme de publication régulière, à raison d’un épisode de six pages chaque semaine, explique donc peut-être des illustrations assez simples, parfois même très limites, qui en tout cas ne renversent jamais le lecteur. Dans un art où le visuel a une telle importance, c’est un petit tour de force que réalise Ellis (qui lui avait peut-être plus de temps pour suivre sa ligne directrice générale) en arrivant à rendre l’œuvre aussi intéressante par la seule force de son écriture (ou presque). C’était aussi un peu le cas, dans une moindre mesure, dans son épisode d’Iron Man, où le sujet n’était pas inintéressant, mais le graphisme vraiment trop laid pour convaincre.

Le site est toujours accessible (http://www.freakangels.com/) pour qui manie un peu la langue de Shakespeare (attention, la première page est la dernière de l’histoire), mais pour ceux qui préfèrent pouvoir trimbaler du papier, l’éditeur Le Lombard a édité en français et en six tomes l’ensemble du récit, et c’est trouvable en médiathèque.

Warren Ellis signe là l’une de ses œuvres fortes. L’illustration, bien qu’en-deçà de l’inspiration de l’auteur, sert honnêtement le travail du Britannique qui pose une sacrée atmosphère et propose un travail audacieux. Il aurait pu se baser sur son nom pour vendre, il a préféré le chemin gratuit du webcomic, on ne peut que saluer l’initiative.

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